USA, annulation du droit syndical: le Wisconsin vote l'interdiction des négociations collectives dans le secteur public
Par le Rédacteur invité: Pierre B., le 28. octobre 2010, - Catégorie : Economie de bulles, crises systémiques, subprime - Lien permanent
A ce propos, on n'entend plus les Républicains pousser des cris de goret qu’on égorge « Constitution, Constitution » ou « Founding Fathers » (les Pères Fondateurs), comme lorsque les mots « arme à feu » ou « peine de mort » sortent de la bouche d’un adversaire politique. Les États-Unis répondent donc de moins en moins à l’appellation « démocratie », mais ce billet a pour objet de montrer qu’ils répondent surtout de moins en moins au qualificatif de « pays du monde industrialisé ». 20 ans après la chute de l’URSS, peut-être les États-Unis se rapprochent-ils de leur voisin russe, que Sarah Palin observe depuis son bureau à la mairie de Wasilla, Alaska.
18 des 19 sénateurs Républicains du Wisconsin ont voté le lundi 9 mars 2011 un acte législatif, possiblement illégal, annulant le droit de mener des négociations collectives pour les syndicats du secteur public dans leur État. Alors que l’acte ne contenait aucune référence au budget, le quorum de vote requis pour un simple acte législatif, qui avait permis aux démocrates d’empêcher la loi de passer en fuyant l'État, a été outrepassé.
Les Démocrates du Wisconsin se sont donc fait berner. Aucune publicité légale ou autre n’a précédé le vote, ce qui a permis aux Républicains de voter alors que les Démocrates étaient encore exilés dans l’Illinois. Alors que le membre du parlement Barca expliquait que la procédure était illégale, les Républicains dirent "Aye" en quelques secondes et le vote passa.
Le chef du groupe minoritaire au Sénat du Wisconsin Mark Miller : “ In thirty minutes, 18 State Senators undid fifty years of civil rights in Wisconsin”. Cette vidéo montre comment la démocratie fonctionne dans le Wisconsin.
Walker a de son côté déclaré "the action today will help ensure Wisconsin has a business climate that allows the private sector to create 250,000 new jobs". Le Wisconsin est un point de rupture, car avec le Minnesota et le Dakota du Nord, ils constituent les États les plus en avance au niveau des droits sociaux. Le Dakota du Nord est par exemple doté d’une banque publique, qui ne s’est engagé ni dans les subprimes ni les produits dérivés de la finance, n’a pas fait faillite, et cet État a été le seul à ne pas entrer en récession entre 2007 et 2011. Ces trois États sont situés prêt de la frontière canadienne, et essentiellement peuplés de descendants de scandinaves et d’allemands, ce qui influe surement sur leur culture économique et sociale. Le bafouement des droits sociaux les plus élémentaires aux États-Unis, comme des autres droits dans le cas Manning, et l'idéologie qui y anime au moins les Républicains, indiquent que ce pays est sur le chemin d'un autoritarisme aux relents totalitaires d'un genre nouveau.
Les Américains se sont longtemps considérés comme potentiellement riches et perpétuellement comme des classes moyennes. Un sondage Pew en 2008 avait révélé que 91% des américains croyaient être membre de la classe moyenne. Relativement peu se référaient à la classe ouvrière ou la classe supérieure, laissant entendre plus une aspiration culturelle qu’une lecture économique.
Les événements en cours obligent à une réévaluation de cette image de soi. La mobilité sociale n’existe pratiquement pas aux Etats-Unis, les salaires y ont stagné depuis une génération entière maintenant. C'est dans cette optique que la résistance croissante de la population aux événements du Wisconsin doit être comprise. Le gouverneur républicain hardcore, Scott Walker, avait promis de supprimer les droits de négociation collective des syndicats du secteur public et réduire les prestations de santé des travailleurs des collectivités locales et les droits à une pension.
Comme la perspective de devenir riche diminue toujours plus, la plupart des américains luttent simplement pour ne pas devenir pauvres. L'inégalité de revenu et de richesse ont été plus facilement accepté aux États-Unis, parce que la croyance en l’égalité des chances tenait. La disparition de la seconde soulève de plus en plus de sérieux doutes quant à l'existence de la première. Cette tension a poussé dans la rue des milliers de gens dans les 50 États en soutien aux syndicats du Wisconsin. La majorité des américains se rangeaient derrière les syndicats au niveau local et national.
Si peu de temps après les victoires électorales des Républicains au niveau fédéral et étatique, Walker prévoyait une promenade de santé pour son ordre du jour. Le soutien aux syndicats tombe habituellement lorsque le chômage augmente. Mais ce ne sont pas des temps ordinaires. Car si le syndicalisme a perdu la faveur aux États-Unis (et en France et en Grande-Bretagne), l'illusion que l’on peut agir soi-même n'est pas loin derrière. Le nombre de ceux qui ne croient plus pouvoir aller de l'avant en travaillant dur a doublé en 10 ans aux États-Unis. La moitié du pays sait que ses meilleurs jours sont derrière. Même si peu d’américains adhèrent aux syndicats, peu croient que le licenciement de 12 000 employés de l’Etat, comme Walker s'est engagé à faire, serait d’un quelconque bénéfice.
Selon Walker, les employés du secteur public auraient de meilleurs salaires et des avantages pléthoriques qui grèveraient le budget de son Etat. Étant donnés les milliers de milliards de dollars que le gouvernement fédéral a versé indument et pour aucun bénéfice concret aux banques depuis 2008, cela en dit long sur son niveau de bêtise ou de malhonnêteté. Compte tenu de l'âge et l'éducation, les employés du gouvernement local gagnent 4% de moins que leurs homologues du secteur privé. Les travailleurs syndiqués bénéficient effectivement généralement de meilleures prestations : c’est pour cela qu’on adhère à un syndicat, pour améliorer son niveau de vie par l'action collective. Et c'est précisément pourquoi les républicains comme Walker tiennent à les écraser.
Son ordre du jour n'a rien à voir avec le redressement d'un déséquilibre fiscal et tout à voir avec l'exploitation de la crise afin de livrer un coup fatal au mouvement syndical. Si la fixation du déficit budgétaire avait vraiment été la priorité de Walker, il n'aurait pas laissé passer 140 millions de dollars en allégements fiscaux pour des multinationales ou refusé de prendre des fonds fédéraux pour les transports ou le développement de l’internet haut-débit. Comme 10 autres états, il pourrait même avoir augmenté les impôts progressivement.
Des histoires similaires pourraient être dites de l'Irlande, ou de l'Indiana, où les Démocrates ont également fui l'état pour bloquer un projet de lois antisyndicales. Ces politiques ne viennent pourtant pas exclusivement e la droite dure. Les Démocrates aux Etats-Unis et les prétendus sociaux-démocrates à travers l'Europe ont aussi attaqué les droits sociaux et syndicaux, mais peut-être avec moins de goût. Le Wisconsin est une illustration claire des sophismes idéologiques et politiques qui animent les mensonges de ces attaques.
Après avoir commencé cette lutte dans une telle impudence, Walker n’avait guère d'autre choix que de la poursuivre jusqu'à sa fin amère. C'est pourquoi elle a pris une importance nationale.
Les manifestations ne reflétaient pas nécessairement un nouveau sens de la conscience de classe, mais suggéraient un potentiel pour cela. L'idée d'un système de classes où seule une poignée peut s’enrichir sur le dos de tous les autres s'immisce maladroitement dans une culture fondée sur les notions d'autopromotion et d'individualisme farouche, même si ces dernières sont utopiques. Les vieilles habitudes ont la vie dure. Les protestations ont souvent été organisées sous la bannière "Save the American Dream".
Les politiciens démocrates, financés par deux syndicats et des entreprises, ont fait semblant de ne pas prendre parti, refusant d’ouvrir un dialogue national en termes de patrons et travailleurs, salaires et profits, riches et pauvres. La plupart des gens veulent être riches et la plupart d'entre eux ne savent pas ce que cela signifie. Si l’on introduit la notion de classe en termes de puissance, on arrive à la source du problème.
Des dirigeants comme Walker font clairement savoir de quel côté de la lutte des classes on se situe. Un nombre croissant d'Américains, paraît-il, ont commencé à comprendre que c'est précisément le problème et ont découvert la source de leur propre pouvoir.
Rédigé par Pierre B.