G8 - La mort protégée par brevet d'invention viole toujours les accords ADPIC (TRIPs)
Par Thomas, le Cimbre le 20. juin 2007, - Catégorie : Zone Hors AGCS, hors ADPIC - Lien permanent
L'OMC, l'AGCS et ADPIC sont les trois outils pour faire de la terre une marchandise. Le G8 s'attache à le rappeler.
La question de la mise à disposition de brevets sur les médicaments conformément aux accords ADPIC devait être traitée au G8 de Heiligendamm Rostock avec succès selon les paroles véhémentes d'Angela Merkel, la chancelière allemande. Le cas actuel le plus urgent à traiter est le fléau planétaire du SIDA.
Ayant enseigné en allemand pendant 15 ans à la faculté de Droit de Strasbourg (CEIPI) le droit de la Propriété Intellectuelle du système allemand, européen et mondial des brevets, et étant traducteur juridique dans ce domaine, je me propose d'ouvrir avec ce billet une étude détaillée de l'ADPIC.
L’accord de l’OMC sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC, ou TRIPs Agreement, Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights) prévoit des "licences obligatoires" (Zwangslizenz) accessibles aux pays qui, en cas d’urgence sanitaire, se doivent de fournir des médicaments à des prix abordables. Les licences obligatoires permettent aux gouvernements concernés de casser les brevets.
L'accord ADPIC est un accord connexe à l'accord instituant le 15 avril 1994 à Marrakech l'OMC, l'Organisation Mondiale du Commerce. Son objectif est de parvenir à l'harmonisation des différents droits nationaux ou (régionaux comme le brevet européen) relatifs à la propriété intellectuelle (industrielle). Cet accord ADPIC fait partie d'un paquet secret de 15 accords parmi lesquels se trouve aussi l'AGCS et que les États ont l'obligation de signer pour rendre effective leur adhésion à l'OMC.
Pour la première fois le grand marchandage du GATT qui avait été rebaptisé OMC à Marrakech s'était attaché à la propriété industrielle ou artistique dans la mesure où elle est devenue un enjeu important du commerce international. Cet accord ADPIC contient des dispositions qui concernent les droits d'auteur et les droits voisins, les marques, les indications géographiques, les dessins et modèles, les brevets et obtentions végétales, les topographies des semi-conducteurs.
Mais l'accord ADPIC est aussi un volet des accords de l'OMC qui concerne aussi les marchandises et les services: autrement dit, les droits de propriété intellectuelle n'y sont pas abordés seulement parce qu'ils ont une incidence sur le commerce international mais aussi (surtout) pour améliorer leur protection.
Dans son préambule, l'Accord ADPIC commence par la reconnaissance que les droits intellectuels sont des droits privés, mais assez rapidement (comme pour s'en excuser?), des objectifs politiques, susceptibles de justifier cette approche restrictive de ces droits, sont mis en avant. L'Article 7 dispose que "la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle devraient (appréciez l'usage du subjonctif dans ce texte officiel issu de la conférence diplomatique) contribuer à favoriser l'innovation technologique et à accroitre le transfert et la diffusion de la technologie, à l'avantage mutuel de ceux qui génèrent et de ceux qui utilisent des connaissances techniques et d'une manière propice au bien-être social et économique, et à assurer un équilibre de droits et d'obligations".
L'Article 8 prolonge ces derniers mots dans un alinéa 2 lourd de menaces et énonçant de manière très vague que des "mesures appropriées pourront être nécessaires afin d'éviter l'usage abusif (unfair use) de droits de la propriété intellectuelle par les détenteurs de droits ou le recours à des pratiques qui restreignent de manière déraisonnable le commerce ou sont préjudiciables au transfert international de technologie". Cette dernière formule intéresse tout particulièrement les pays en voie de développement. Ainsi, d'emblée, en des termes d'une redoutable imprécision ("mesures appropriées", "usage abusif") le texte met en avant les possibilités de restreindre les droits qu'il va reconnaître, pour des motifs vagues, et qui renvoient à une appréciation imprévisible à la lecture du texte. Dans le corps du texte de l'accord ADPIC, on retrouve en écho, des dispositions permettant aux législateurs et aux juges nationaux d'apporter des exceptions aux droits de propriété intellectuelle, fondées sur des considérations floues comme " l'intérêt légitime" (Article s 13, 26,30) ou la notion "d'usage loyal" (fair use).
Vous comprenez donc maintenant aisément que l'accord ADPIC fait semblant de régler les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce, mais que les pays en voie de développement sont démunis face un tel texte et face à la voracité des grands groupes industriels et de leurs staffs d'avocats.
Le texte qui aménage d'une manière tout aussi floue dans son Article 31 d'autres utilisations sans autorisations du détenteur du droit, ne peut que constituer une base juridique étroite et instable susceptible d'interprétations totalement opposées en fonction des intérêts mis en avant pas la défense ou le plaignant: " Dans le cas où la législation d'un Membre permet d'autres utilisations de l'objet d'un brevet sans l'autorisation du détenteur du droit, y compris l'utilisation par les pouvoirs publics ou de tiers autorisés par ceux-ci, les dispositions suivantes sont respectées: a) l'autorisation de cette utilisation sera examinée sur la base des circonstances qui lui sont propres; b) une telle autorisation pourra n'être permise que si, avant cette utilisation, le candidat utilisateur s'est efforcé d'obtenir l'autorisation du détenteur du droit, et que si ses efforts n'ont pas aboutis dans un délai raisonnable. Un Membre pourra déroger à cette prescription dans des situations d'urgence nationale ou d'autres situations d'extrême urgence.".
Dans la pratique les répercussion de cette sémantique floue de cette "examen sur la base des circonstances propres et des "situations d'urgence nationale ou d'autres situations d'extrême urgence" n'ont pas permis d'éviter par exemple les 400.000 morts du Sida en Afrique du Sud entre 1997 et 2002 alors que "l'usage loyal" des médicaments contre le Sida aurait dû être fait.
En cas de violations aux règles de l'accord ADPIC par un État membre de l'OMC, un autre État peut l'attraire devant la cour arbitrale de Genève (ORD, Organe de Règlement des Différends) qui est tout autant compétente pour les violations contre les accords de l'OMC ou de l'AGCS. Les contrevenants peuvent se voir infliger une amende et des barrières commerciales peuvent être érigées contre chaque État contrevenant.
A l'orée de la mondialisation et de l'intensification des échanges commerciaux à l'échelle planétaire, l'ADPIC a été créé pour (contre) les pays en voie de développement qui n'avaient pas encore de système de brevet et de propriété industrielle. L'ADPIC a force de Loi pour les États membres industrialisés depuis le 1er janvier 1996 et depuis 2006 pour les États membres des zones économiquement sous-développées qui devaient en premier lieu créer une législation nationale sur la propriété intellectuelle (droits des brevets, des modèles et des dessins déposés, des marques et des auteurs...)
L'objectif de l'accord ADPIC aurait dû être de simplifier pour les Pays sous-développés leur accès aux nouvelles idées et aux nouvelles technologies et de stimuler leur développement structurel et économique parce que la majorité des titulaires des brevets de ces pays sont des entreprises détenues par les pays industriels. En Afrique, 95% des entreprises sont détenues par les pays industriels. Les très vives critiques proférées par les pays sous-développées contre l'accord ADPIC ont été réitérées par les représentants des États africains qui ont été reçus à la garden-party du G8 de Heiligendamm Rostock. Ils n'ont pas été entendus.
Je vais traiter dans cet article plus précisément de la question des médicaments génériques dont Bush et son par-terre ont discuté au G8 de Heiligendamm. Ces médicaments génériques sont nécessaires pour éradiquer le Sida qui est un fléau national qui peut toucher jusqu'à 1/3 de la population comme au Botswana. Il s'agit bien de "situations d'urgence nationale ou d'autres situations d'extrême urgence.
Avant l'entrée en vigueur de l'accord ADPIC les pays en voie de développement comme les pays industrialisés pouvaient faire des répliques ou des génériques de médicaments de marques. Ce n'est que tardivement, entre 1960 et 1998, que les pays industrialisés ont choisi d'inscrire dans le droit les brevets la brevetabilité des médicaments. Ainsi les médicaments contre la malaria, le sida, la TBC (tuberculose) ne coutaient au maximum qu'un 1/3 du prix des médicaments de marque. L'accord ADPIC interdit expressément à tous pays la production de génériques et de répliques (brevet non échu).
Les ONG et les pays en voie de développement ont critiqué violemment à Doha au Qatar en 2001 l'accord ADPIC et ont obtenu l'autorisation de production de génériques pour les Pays les Moins Avancés (LDC, Least Developped Countries). L'importation de générique leur est toujours interdite. Nous sommes au paroxysme de l'hypocrisie que le G8 de Heiligendamm n'a pas écarté autrement que par l'octroi d'une aide financière de 60 milliards de dollars pour lesquels aucun échéancier n'a été établi. La majeure partie de l'aide promise en 2005 au G8 de Gleneagles en Ecosse n'a pas encore été versée. Les Pays les Moins Avancés sont aussi les plus pauvres qui ne disposent ni des moyens techniques ni des moyens financiers de produire les génériques.
Les lobbies pharmaceutiques s'opposent à la modification de l'accord ADPIC. Nous sommes d'autant plus fâchés quand nous connaissons tout ce qui est "sponsorisé" par ces lobbies dans le milieu médical pour les professions médicales: banquets de gourmets dans les restaurants 3 étoiles toutes les semaines, week-end en sites balnéaires, de thalassothérapie, séjours de ski à Avoriaz, à Evian, dans les Iles des Mers du Sud... Les études comptables des finances des grands groupes pharmaceutiques démontrent que le plus grand poste est représenté de très loin par les frais de marketing et non par la Recherche et le Développement. Pourtant, les entreprises pharmaceutiques invoquent les frais de recherche et de développement qui ne peuvent pas être couverts autrement que par la protection du droit de brevet et de son certificat complémentaire de protection, le CCP qui étend de 5 à 7 ans le droit de protection des médicaments (Cette extension est normale parce que l'AMM, l'Autorisation de la Mise sur le Marché dure de 5 à 7 ans). L'industrie pharmaceutique craint aussi un marché noir à grande échelle des médicaments génériques ou répliques des pays en voie de développement vers les pays industrialisés.
Les pays en voie de développement déplorent la suprématie du droit des brevets sur le droit humain à la vie et à la santé. La mort semble être la dernière affaire privée sur cette terre, et encore je me tempère, la dernière seconde du dernier souffle. En 1997 le Parlement de l'Afrique du Sud avait cassé le brevet du médicament contre le sida et avait autorisé l'utilisation de génériques. De 1997 à 2002 moururent 400.000 personnes du sida. 39 entreprises pharmaceutiques avait déposé plainte contre l'Afrique du Sud devant la Cour arbitrale de l'OMC à Genève (ORD, Organe de Règlement des Différends). Ils consentirent à une baisse du prix puis à un retrait de leurs plaintes suite à une protestation planétaire des médias et de l'opinion publique.
Je traiterai dans un prochain billet du second volet de l'accord ADPIC qui permet de protéger par brevet une molécule active issue d'espèces variétales (plantes) ou de micro-organisme et de nouvelles formes de vies (OGN). L'isolement de la molécule active est considérée comme une activité inventive et de ce fait elle répond aux critères de brevetabilité qui sont le principe de nouveauté, de la démarche inventive et de l'applicabilité industrielle. L'agriculteur ou le shaman savait aussi isoler les principes actifs des plantes; le dépôt de brevet pour les plantes offertes par la nature ou le croisement issu de la main de l'homme est irrecevable. Les grands groupe comme Monsento ou Rice-Tech (riz Basmati breveté) se débrouillent pour que leurs ONG soient plus rentables à l'hectare et donc pour que l'agriculteur leur soient dépendants, ce qui est la violation du Privilège de l'Agriculteur qui l'autorise à réensemencer ses récoltes (sans payer un droit d'utilisation des brevets...)
(Depuis les échecs du cycle de Doha, de Seattle, de Cancùn l'OMC n'est plus le seul instrument de domination. Des milliers d'accords bilatéraux ont déjà été signés et sont bien pires que l’OMC, et ce de façon délibérée. Ils sont négociés en secret, directement avec des groupes de lobby du monde des affaires... J'y reviendrai aussi bientôt sur mon site)
______________________________________
Lire aussi au sujet de l'Accord ADPIC, de la brevetabilité des médicaments et des accords bilatéraux:
Echec du Cycle de Doha - Les Accords bilatréraux de libre-échange intensifient la déprédation
Commentaires
Monsieur,
Je viens de terminer ma dernière années de Master au CEIPI (Centre international de la Propriété Intellectuelle) de Strasbourg en Droit de la Propriété Intellectuelle.
Pour valider mon année, je dois notamment écrire un mémoire de fin d'études.
Je m'intéresse depuis quelques temps aux conflits Monsanto et à la biotechnologie en général.
Voici mon sujet : "Les limitations au brevet et au droit de l'obtenteur en Europe, à la recherche d'un juste équilibre dans la protection de l'innovation variétale".
J'ai également commencé à élaborer un plan.
Pourriez-vous, s'il vous plait, m'orienter dans mes recherches ou me donner des conseils quant à l'appréhension de ce sujet.
Je peux bien évidemment vous envoyer mon plan si cela vous intéresse.
Merci beaucoup
Bonjour,
les oiseaux retournent toujours à la volière.
J'ai enseigné au DESS / Master 2 du CEIPI pendant 15 ans en allemand le Droit de la Propriété Intellectuelle, le système allemand des brevets, le Système Européen des Brevets et j'ai été traducteur juridique pour l'Office Européen des Brevets et la DG5, Carl Heymanns Verlag, LITEC - Librairie Technique de la Cour de Cassation, Ellipse - Éditeur des Gandes Écoles / Édition Marketing, etc. Il y a même des contrefaçons de mes travaux et dictionnaires thématiques qui circulent. Nos routes se sont séparées quand j'ai commencé, sur la base de la littérature officielle de l'OEB, à faire des cours sur la brevetabilité du vivant... C'était pour les autorités comme si je crachais dans la soupe. C'était bien après la disparition de JJ Burst que nous regrettons tous et qui n'aurait rien eu à redire à ce sujet. Si vous vous adressez à moi, c'est sans doute parce que vous avez remarqué que j'ai une certaine compétence sur le sujet. Je vous en remercie.
Avec votre niveau d'étude vous serez capable de vous piloter tout seul, mais regardez donc de plus près tout ce que j'ai écrit à ce sujet sur mon site sous ADPIC, ADPIC+, mais aussi les APE, ALE, et l'OMC. Il y a de quoi jeter les bases d'une bonne thèse ou au minimum d'un bon mémoire de Master 2.
Bien à vous
Thomas Rudolf
Monsieur,
Merci d'avoir répondu si rapidement à ma demande.
Bien que je partage votre avis concernant l'accord ADPIC et l'OMC, j'aimerai que mon mémoire contiennent des arguments des deux côtés.
Connaisseriez-vous une personne à l'OMC par exemple avec qui je pourrais échanger et avoir des informations "adverses" ?
Merci d'avance
Marie