Modèle Europe: convergence de la faillite économique et sociale - Recours à Stiglitz
Par Thomas, le Cimbre le 24. janvier 2007, - Catégorie : Constitution, Europe solidaire - Lien permanent
L'Europe est devenue un handicap. L'Europe est réduite aux acquêts monétaires et financiers et commerciaux, au patriotisme économique national, à la concurrence fiscale autodestructrice. Les critères de convergence de Maastricht instituant l'Euro sont des critères de classe. La classe des papy-boomers se préserve ainsi sa propre aisance avec l'obsession de la stabilité des prix et l'impunité de l'imprévoyance collective qui met en péril la pérennité économique des Etats membres et des générations ascendantes et à venir sans désirs.
a) Convergence européenne vers la faillite: L'Europe au travers de ses multiples Traités n'est que la chronique d'un échec annoncé. La convergence des économies nationales élevée comme grand principe et comme mystique fédératrice, a, d'étape en étape et dans tous les articles d'application des Traités, été volontairement infirmée par la volonté d'instaurer une libre concurrence et un libre échange total qui n'épargne aucun domaine de la vie économique et sociale des Etats membres. Cette volonté délibérée de ne mettre en avant que l'holoéchangisme au détriment d'une politique européenne économique et sociale répond fidèlement aux préceptes libéraux de Milton Friedmann et de Hayek qui détestaient la souveraineté de l'Etat en tant que telle, l'interventionnisme keynésien et qui ne voyaient que le marché comme force régulatrice et de progrès économique. Le Traité de Maastricht de 1992 instaure une coordination renforcée des politiques économiques, visant à réduire l'inflation, les taux d'intérêt et les fluctuations des changes, de même qu'à limiter les déficits et la dette publique des Etats. Ces 4 critères, dits "de Maastricht", doivent assurer la convergence des économies des Etats membres, préalable à l'utilisation d'une monnaie unique. L'intitulé officiel des 4 critères de Maastricht dans les articles du Traité est "les critères de convergence". Il y est plusieurs fois fait référence de politiques macroéconomiques menant à la convergence durable.
Ce qui est sidérant est que ce qui se voulait officiellement comme la seconde phase de l'Union économique et monétaire, ne faisait aucun cas d'autres critères économiques comme le taux d'emploi, le taux de croissance. Ces critères étaient purement des critères financiers de comptabilité nationale, et leur choix très restrictif n'était que le miroir de l'option libérale qui apparaît à chaque traité européen. Nous avons toujours appris qu'une monnaie, une devise était l'image de la santé économique d'une économie. L'Euro n'est qu'une image de ce qui est considéré comme étant la santé budgétaire d'un Etat au travers de la lorgnette du taux d'inflation, du taux d'intérêt, du déficit budgétaire (dette contractée dans l'année), de l'endettement (dettes cumulées). D'autres régions du globe, d'autre pays comme le Japon, le Canada ont une toute autre approche et gestion de tels critères.
La convergence des économies nationales a été la chronique d'un échec annoncé. En effet l'Euro n'a pas abouti à une réduction de l'écart existant entre les économies nationales du fait de la concurrence fiscale et sociale et des compressions de coûts opérées par certains pays comme l'Allemagne pour gagner des parts de marché au détriment de leur voisins européens. L'Europe, en dépit de la Stratégie de Lisbonne, est un échec dans bien d'autres domaines comme la coordination fiscale, les investissements dans la recherche fondamentale et appliquée, l'éducation et les nouvelles technologies.
L'instauration de l'Euro a représenté et représente des sacrifices importants. La réduction des déficits pour cadrer avec les 4 critères de convergence a nécessité un impôt spécial comme en Italie ou en France avec la RDS (Remboursement de la Dette Sociale), a réclamé des compressions budgétaires au détriment du pays et d'un financement de la croissance, a entraîné une forte inflation cachée par les instituts des statistiques qui prétextent devoir installer de nouvelles méthodes de calcul pour pouvoir témoigner du coût de la vie actuelle. En aucun cas l'Euro n'a su concentrer autour de lui un sentiment identitaire européen, mais plutôt une méfiance. L'Euro reste le symbole d'un modèle européen qui n'existe pas.
b) Stiglitz analyse par prémonition l'échec européen: L'Europe n'est que le modèle précurseur de la mondialisation. L'Europe est même le modèle le plus radical qui ne tolère aucun aménagement et aucune régulation de la libre concurrence et et du libre échange entre ses Etats membres. Les observations sur le questionnement à la globalisation fait par J. Stiglitz, Nobel d'économie en 2001, dans son livre "LA GRANDE DESILLUSION; LES ECHECS DE LA MONDIALISATION" peuvent se transposer sur notre globalisation régionale européenne: "la mondialisation, ça ne marche pas pour les pauvres, ça ne marche pas pour l'environnement, ça ne marche pas pour la stabilité économique mondiale". Pour Stiglitz, le décalage entre une mondialisation théoriquement bénéfique et celle qui se développe aujourd'hui est imputable à la manière dont le processus est conduit, imposé, par les institutions internationales: le FMI, La Banque Mondiale, l'OMC (dans notre lecture il suffit de remplacer ces mots par BCE, Europe du libre échange). Le FMI et la BM ont été créés pour développer une action collective mondiale visant à assurer une stabilité financière et économique de la planète. Les fondements théoriques étaient keynésiens et promouvaient l'intervention publique pour soutenir la demande globale par des politiques monétaires et budgétaires d'expansion. En réalité le "fanatisme du marché" a conduit à des politiques d'austérité, de privatisation et de libéralisation. Ces politiques visent à contrôler les équilibres macroéconomiques avec l'inflation comme point focal. L'analogie avec les Traité Européen et le projet de Constitution européenne est flagrante! La "stabilité des prix" réapparaît comme un serpent de mer jusqu'au §3 du TCE.
Face à la question de la répartition des fruits de la libéralisation, le FMI et la Banque Mondiale se sont longtemps appuyés sur les postulats de "l'économie des retombées". Pour Stiglitz ce postulat est une dangereuse illusion. De nombreux exemples montrent que la croissance peut être accaparée par une catégorie donnée d'acteurs, que les retombées sur les populations pauvres ne sont pas systématiques et que l'action régulatrice de l'Etat est nécessaire. Cette situation est aggravée par l'absence de toute mesure d'accompagnement. Selon la théorie, le marché va faire émerger les acteurs nécessaires à son fonctionnement, favoriser la concurrence, permettre une allocation optimale des ressources et une répartition équitable des fruits de la croissance. Les §1 et §2 de la Constitution européenne et les différents Traité de convergence ne répandent pas d'autres grandes valeurs fédératives et identifiantes pour le bien des peuples. Les réformes imposées par le FMI et la Banque Mondiale sont "à taille unique", sans prise en compte ni des spécificités des contextes nationaux, ni des positions ou aspirations des pays. Elles sont strictement monétaires et économiques et ne prennent pas en compte les dimensions sociales et politiques et négligent totalement la "puissance du changement systémique" liant l'économique, le social, le politique. La foi fanatique dans le pouvoir du marché, le rejet total de l'Etat promu par le FMI et la Banque Mondiale rappellent l'holoéchangisme européen qui ne connaît pas d'autre légitimation.
Dès le milieu des années 70' j'avais écrit dans un mémoire universitaire intitulé "Der Markt oder die Macht" (Le marché ou la puissance, où l’ambiguïté du mot Macht laissait penser à la puissance en tant que telle, ou à la puissance de l'Etat) ceci: "le bloc de l'Est tombera à la suite de son échec démocratique et économique. Le modèle de l'Ouest tombera pour les mêmes carences démocratiques et économiques." J'ai plaisir à voir que Stiglitz me donne raison presque 26 ans plus tard.
c) L'Europe nettement plus libérale que les USA: L'Europe devance et reproduit et amplifie les caractéristiques de la mondialisation au lieu de s'en protéger. Cela se traduit par l'acceptation de la concurrence fiscale et sociale. L'Europe est si diverse qu'elle ne trouve ni ne fait l'effort de chercher en elle le ciment politique. La Constitution européenne n'en était pas une tentative pour toutes les raisons invoquées dans mes articles à ce sujet. L'Europe n'est pas capable de participer à la domestication de la mondialisation et ne dispose d'aucune capacité de négociation. Pire le modèle économique européen est nettement plus libéral que le modèle américain qui applique les principes de l'économie de marché avec les nuances dues aux circonstances. L'administration Bush avait eu une politique très interventionniste après les attentats de 9 XI. 90% de la croissance étaient soutenus par des mesures fiscales, de relance permanentes sous la forme de subventions et d'aides importantes aux PME. Toutes ces mesures sont bannies et interdites par Bruxelles. La Fed', la Banque Centrale américaine poursuit le double objectif de la stabilité des prix et le plein-emploi. Alors que la BCE remonte régulièrement les taux d'intérêt, la Fed' avait ramené son taux directeur de 6,5% à 1,75% en 11 mois en 2001.
d) Nivellement social vers le bas ou montants compensatoires sociaux: L'Europe présente sur le plan social une diversité de modèles qui sont mis en concurrence du fait de l'absence de coopération fiscale et sociale. Le nivellement vers le bas est inéluctable dans la situation actuelle. L'Europe qui ne brille que par ses déclarations généreuses mais aussi par sa veulerie et sa couardise ne choisira pas d'encourager la généralisation du modèle national qui se révèle le plus efficace sur le plan économique en supposant que les pays membres ayant le taux de croissance le plus élevé ont les résultats sociaux les plus avantageux. Les systèmes sociaux ne sont pas transposables d'un pays à l'autre. Il dépendent tout autant du contexte économique que de l'histoire et de la culture de négociation. Pour établir les conditions d'une concurrence non faussée, comme le préconise la Constitution européenne, il faudrait instaurer un protectionnisme social fondé sur des montants compensatoires sociaux pour le travail devenu une marchandise comme un autre.
A l'interventionnisme public de relance et de croissance qui n'ose plus porter l'adjectif de "keynésien", les détracteurs de toute forme étatique solide opposent la question de la gestion de la dette publique. Pourtant les Etats modernes de la planète sont à présent capables d'avoir une politique économique interventionniste volontaire avec des mesures keynésiennes efficaces et permanentes sans pour autant passer par la "planche à billet" et une inflation non maitrisée. Une intervention publique macroéconomique d'envergure est nécessaire en Europe si nous ne voulons pas la voir s'effondrer socialement, économiquement, et politiquement dans des tentations totalitaires, populistes et xénophobes.